Elle a tout de suite fait écho en moi car, comme cette mère, comme beaucoup d'entre vous, je sais combien l'attitude du médecin lors de la mort de notre bébé peut porter ou, au contraire, enfoncer encore davantage.
Je sais combien je suis à jamais reconnaissante aux personnels soignants de l'hôpital d'avoir su, tout en restant professionnels, montrer qu'ils étaient aussi humains, touchés par la mort de ma fille. Cela m'a permis de me sentir moins seule, de continuer à me sentir membre d'une humanité qui pleurait mon bébé avec moi, de sentir que ce bébé était important pour les autres aussi.
On parle souvent de la distance qu'il est nécessaire de mettre entre un patient et celui dont le métier est de le soigner. C'est bien compréhensible, car un médecin, une sage-femme qui se laisseraient engloutir par tous les drames qu'ils croisent ne pourraient sans doute bientôt plus pratiquer, verraient toute leur vie, personnelle et professionnelle, envahie par d'autres vies que la leur.
Mais garder une certaine distance ne veut pas dire se blinder, faire preuve de cynisme, manquer d'humanité.
Il y a là un équilibre délicat à trouver, une juste place pour le professionnel.
Lettre à mon Médecin
La lettre suivante fut écrite afin d’être lue lors d’un
cours donné dans une faculté de médecine sur la manière de gérer la naissance
d’un bébé décédé dans le ventre de sa mère.
J’ai écrit cet article afin qu’il soit partagé. Si vous
connaissez quelqu’un qui gagnerait à lire ceci, n’hésitez pas : partagez.
En écrivant, j’ai pensé en moi-même combien un médecin qui
gérait cette situation pour la première fois devait être perdu, désarmé. J’ai
pensé aussi aux médecins qui font tout faux et à ceux qui ont tout juste.
Mon médecin personnel était merveilleux et je la remercie
chaque jour d’avoir rendu une expérience si difficile et déchirante un peu plus
douce.
Néanmoins, depuis bientôt 2 ans que je fréquente la
communauté des mamans en deuil, j’ai entendu des histoires abominables qui
rendent le vécu un million de fois pire qu’il ne l’est déjà, que ce soit à
cause de soins brutaux ou de commentaires totalement dépacés.
Quand on m’a demandé d’écrire ce texte, j’ai voulu être
sûre de me faire le porte-parole de la communauté. Je voulais que les médecins
en devenir sachent comment traiter la Mère Endeuillée.
Mise à jour : La vidéo qui accompagne cette lettre est
prête. Vous pouvez lire cet article et la regarder ici.
Cher Docteur,
Je sais que ce n’est pas ce à quoi vous vous attendiez pour aujourd’hui.
Vous ne vous êtes pas réveillé, vous n’êtes pas parti
travailler en pensant « aujourd’hui, je vais devoir dire à une mère que
son bébé est mort ».
Votre journée aurait dû être pleine de battements de cœur et
du bruit des mouvements transmis par la sonde à ultrasons, vous auriez dû
étaler du gel sur des ventres rieurs, vous auriez dû voir votre sonde
frappée par les pieds de bébés
invisibles.
Votre journée était censée se passer à prendre soin de mères
joyeuses.
Vous devriez être en train de féliciter une mère heureuse,
et non de consoler une mère dévastée.
Néanmoins, vous voilà, essayant de toutes vos forces de trouver les battements de cœur de mon bébé.
Vous bougez votre sonde autour de
mon ventre rond, mais tout ce que vous entendez, c’est le bruit sourd et
lointain de mon cœur, qui commence à battre plus vite. C’est que je commence à
deviner ce qui va bientôt se passer.
La boule qui se forme dans votre gorge est presque trop
grosse pour vous permettre d’articuler le moindre mot, mais de toute façon,
vous ne savez que dire. Qui saurait ? Vous êtes nerveux, choqué, vous ne
savez pas comment vous allez vous y prendre pour nous faire traverser tout ça,
à vous et à moi.
Laissez-moi vous aider.
Laissez-moi vous aider.
D’abord, n’hésitez pas, n’esquivez pas, de quelque manière que ce soit.
J’ai déjà un million de peurs qui traversent en ce moment ma tête.
Si vous partez pour aller chercher un autre médecin, sans rien me dire, je vais
paniquer. Même si c’est très, très difficile de me dire la vérité, faites le,
rapidement. Dites moi tout ce que vous pouvez me dire, et ne me laissez pas
seule. Tout d’un coup, j’ai peur, vraiment très peur, et j’ai besoin d’être
entourée.
« Je suis désolée. Je ne trouve pas le cœur ».
Dites le doucement, mais clairement. Tenez ma main. Regardez moi dans les yeux.
Vous allez voir la peur monter, mais aussi l’espoir. A ce moment là, je crois
encore qu’il reste de l’espoir, que vous avez pu vous tromper. Je pense qu’il
pourrait y avoir d’autres examens, d’autres choses à vérifier.
Ce ne sera pas avant que vous m’ayez amenée à l’échographie, pas avant que j’ai vu mon beau bébé, si immobile, si mort, que la réalité me frappera.
Elle frappera fort, de
plein fouet. Je me recroquevillerai et j’enserrerai mon ventre. Je me tordrai
sur la table d’examen. Je crierai, d’un cri que vous n’avez jamais entendu
nulle part avant et que vous ne voudrez plus jamais entendre. Un cri empli de
plus de douleur que vous ne le pensiez supportable pour un humain. Je gémirai
« Oh, mon bébé ». « Pas mon bébé ». Peut-être même me
verrez vous me briser, me casser en mille éclats de chagrin.
Peut-être ne pourrez-vous pas rester détaché.
Peut-être ne pourrez-vous pas rester détaché.
Ce n’est pas grave si vous pleurez aussi.
En fait, pour être honnête, pleurez, vous aussi. Je vous en
prie. Montrez-moi, s’il vous plaît, que vous êtes humain. Laissez moi voir que
mon bébé est aussi important pour vous que pour moi… Que je suis importante
pour vous. Si vous ne connaissez pas encore le prénom de mon bébé, demandez-le
moi et, à partir de maintenant, appelez le par son prénom. Il n’est pas un
enfant né sans vie. Il n’est pas un avortement spontané. Il n’est pas non plus
une mort fœtale. Il est mon enfant. Ces termes médicaux, vous avez sans doute
appris à les utiliser, et c’est très bien, mais ne les utilisez pas avec moi.
Utilisez son prénom.
Je vous en prie, utilisez son prénom.
J’ai rêvé la naissance de mon enfant depuis que j’ai vu ces
deux lignes, sur le test de grossesse, peut-être même avant ça. Je l’ai
préparée en détail tout au long de ces derniers mois. Et maintenant, rien ne va
se passer comme cela aurait dû se passer.
Faites en sorte que j’aie du temps pour comprendre ce qui va arriver.
Laissez moi faire autant de choix que je le peux, mais comprenez qu’il
se peut qu’il y ait des choix que je serai incapable de faire. Il y a tant de
choses qui m’arrivent d’un seul coup. Je suis en état de choc, je ne sais pas
ce que je suis supposée faire. Guidez moi, sans me forcer. Sans doute ferai-je
tout ce que vous me dites de faire.
Parlez moi de la possibilité de garder des souvenirs de mon bébé.
Avec autant de douceur que vous le pouvez, laissez moi prendre conscience
que les prochaines heures, les prochains jours, seront tout ce que j’aurai. Je
voudrai alors que chaque seconde compte.
Dans un premier temps, c’est possible que je sois anxieuse,
car l’idée de tenir dans mes bras mon enfant sans vie est trop perturbante pour
que je veuille y penser. Rassurez-moi sur le fait que, finalement, je serai
heureuse de l’avoir fait, que je voudrai recommencer, le voir, le tenir encore.
Encouragez-moi à faire appel à un photographe.
Cette fois
encore, j’hésiterai, mais dites moi combien ces images me seront précieuses
plus tard, combien je les chérirai. Dites moi que je ne suis pas obligée de les
regarder avant d’être prête, mais qu’il faut qu’elles existent pour le jour où
je le serai.
Permettez moi de l’habiller, de le baigner.
Dans quelques
mois, quand le choc se sera dissipé, je regretterai de ne pas savoir comment
était son nombril ou s’il avait des marques de naissance. Je regretterai de ne
pas avoir compté ses orteils ou brossé ses cheveux.
Si l’hôpital dans lequel vous travaillez ne procure pas de
kits de mémoire, dites à mon mari où se procurer un peu de plâtre pour faire un
moulage des mains et des pieds, et un peu d’encre pour garder des empreintes.
Durant le travail et l’accouchement, passez avec moi autant de temps que vous le pouvez.
Je sais que vous avez d’autres accouchements. Des
accouchements plus heureux. Mais j’ai besoin de vous, autant que les autres
femmes. Peut-être même davantage, car lorsque j’aurai fini de mettre mon bébé
au monde, le temps passé avec lui sera presque entièrement écoulé. Ne m’oubliez
pas. Je me sens déjà si seule.
Ne me dites pas que je pourrai « réessayer » ou que j’ai de la chance d’avoir mes grands.
Ca n’a rien de réconfortant, et c’est une insulte à l’enfant
que je m’apprête à mettre au monde. Encouragez moi à pousser, comme vous le
feriez pour n’importe qui d’autre.
Souvenez-vous que mon mari aussi a perdu un enfant.
Il va essayer d’être fort mais à l’intérieur de lui, tout s’écroule.
Laissez-le faire les choses qu’un père fait normalement. Demandez lui s’il veut
couper le cordon. Même si la fin de notre histoire est très différente de celle
que vivent les autres familles de la maternité, ne nous traitez pas
différemment, s’il vous plaît. Les circonstances en elle-même ne nous
permettront pas d’être dans la normalité, laissez-nous donc avoir un
accouchement aussi normal que possible.
Avant qu’il n’arrive, préparez moi au silence. Préparez-moi à ce à quoi il pourrait ressembler.
Dites moi qu’il se peut qu’il ait changé de
couleur. Il se peut qu’un peu de sa peau soit abîmée. Il ne va pas ressembler
au bébé auquel je m’attends, mais néanmoins, c’est mon bébé. Quand tout aura
été dit, quand tout aura été fait, je continuerai à le trouver beau. Quand il
sera enfin né, je pleurerai de chagrin et ressentirai un grand vide, mais mes
pleurs seront aussi plein d’amour. Je pleurerai sur sa disparition mais aussi
sur sa beauté.
Quand mon bébé sera né, traitez-le avec respect.
Tenez le
comme vous tiendriez un bébé vivant. Donnez-le moi comme vous me tendriez un
bébé vivant, doucement et avec tendresse. Dites moi combien vous le trouvez
beau.
Si votre hôpital est équipé en berceau réfrigéré,
montrez-moi comment cela marche et laissez moi garder mon bébé aussi longtemps
que je le voudrai.
Si vous n’en avez pas, assurez-moi que je pourrai aller le voir chaque fois que j’en aurai envie.
Amenez-le moi. Laissez-moi le tenir dans mes bras. Encouragez les
membres de ma famille à le prendre aussi dans leurs bras et à prendre des
photos, même les enfants, mais permettez aussi que mon mari et moi ayons la
possibilité de passer du temps ensemble, seuls avec notre enfant.
Ma chambre sera la Chambre Calme. Ce sera une pièce pleine
de voix chuchotées et de regards détournés. Une pièce dans laquelle le tabou
prendra toute la place. Moi, je voudrai parler de lui, mon bébé, mais personne
ne le fera.
Posez moi des questions à son sujet.
Demandez-moi comment j’ai
trouvé son prénom. Demandez-moi quels ont été les meilleurs moments de ma
grossesse. Laissez-moi parler de mon bébé. Rien de ce que vous pourrez dire ne
rendra les choses meilleures. Il n’y a pas de mots plus justes que « je
suis tellement désolé ».
Dites moi que vous êtes désolé que j’aie perdu
mon enfant.
Dites moi que ce n’était pas ma faute.
Je ne vous croirai pas, mais
dites le tout de même. Donnez moi les coordonnées d’accompagnants au deuil et
de groupes de parole, aidez moi à prendre rendez-vous avec une psychologue
spécialisée si vous pouvez. Prenez moi dans vos bras. Dites moi son prénom
encore une fois.
Je quitterai l’hôpital vide et brisée.
Mes bras seront
incroyablement lourds de ne pas porter de bébé. Je ne saurai pas quoi faire de
moi, une fois que je serai chez moi.
Envoyez-moi une carte, quelques jours plus tard, pour me dire que vous pensez à moi et mon bébé.
Écrivez son prénom.
J’apprécierai votre gentillesse et j’aurai l’impression que mon bébé était important.
A mon rendez-vous de suivi post-partum, soyez doux avec mon corps.
Je trouve déjà qu’il m’a trahie. Demandez moi comment je vais. Je vous
dirai que je m’en sors bien. Ce n’est pas vrai. De nouveau, donnez-moi des
informations sur les groupes de soutien et les psychologues spécialisés. Je me
sens seule et isolée. J’ai besoin de rencontrer d’autres mères comme moi, même
si je ne le sais pas encore. Aidez-moi à le faire. Une nouvelle fois, dites moi
que ce n’était pas ma faute. S’il vous plaît, ne me parlez pas de religion par
rapport à la perte de mon bébé, sauf si j’aborde moi-même le sujet. Il se peut
que je ne sois pas croyante, et des paroles sur le Ciel et les anges pourraient
me blesser au lieu de me réconforter. N’essayez pas de rationaliser ce qui
s’est produit. Reconnaissez simplement combien je dois souffrir. Dites encore
une fois son prénom. Chaque fois que quelqu’un utilise son prénom, cela apaise
un peu mon cœur.
Il est possible qu’il y ait des raisons claires et franches au fait que mon bébé soit mort, mais il est aussi fort possible qu’il n’ en ait pas.
J’aurai de nombreuses questions, et il possible que vous ne puissiez pas
répondre à toutes. S’il vous plait, donnez moi toutes les informations qui sont
en votre possession. Ne simplifiez pas à outrance mais n’utilisez pas non plus
de jargon médical. Je veux croire que cette tragédie ne se reproduira pas et
que mon corps n’est pas cassé. J’ai besoin de savoir quelles seront les
conséquences pour de futures grossesses, si je décide d’en vivre d’autres. Il
se peut que je ne pense qu’à recommencer, ou il se peut que ce soit la dernière
chose à laquelle je pense mais, dans les deux cas, savoir quoi faire, à quoi
m’attendre est important pour moi.
Sachez que je vous suis reconnaissante, même si je ne le dis pas.
Sachez que vos mots gentils et votre douceur envers vos patients veulent
dire bien plus pour moi que ce que vous pourriez imaginer. Sachez que votre
reconnaissance de mon bébé en tant que personne réelle est le premier de mes
pas sur un chemin d’apaisement et que la manière dont vous m’avez traitée comme
une mère et dont vous avez traité mon bébé comme ma fille restera dans mon cœur
pour toujours.
Je ne voulais pas que votre journée se finisse ainsi. Je ne
voulais pas que mon enfant rentre avec moi à la maison dans une urne. Personne
ne peut penser que ce genre de chose arrive avant que ça arrive. Lorsque je
rentrerai chez moi, vous retournerez à votre routine quotidienne d’accoucher
des bébés dont le cœur bat, mais vous serez changé à jamais.
Il se peut, de temps en temps, que le visage ou le prénom de
mon enfant traverse votre esprit. Je l’espère. J’espère que vous pensez à elle,
même de temps en temps, parce que moi je pense à elle tous les jours. Je
penserai toujours à elle.
Avec tous mes remerciements,
La Mère Endeuillée
juste ouahou, des mots qui disent exactement ce que j'ai vecu. merci
RépondreSupprimerOui, j'avais trouvé cet article particulièrement émouvant et juste...
RépondreSupprimerJ'espère que de plus en plus de professionnels sauront ainsi accompagner les parents comme ils vous ont accompagnée.
Les mots, les regards et les attitudes des soignants sont en effet, à ce moment là, la seule chose qui raccroche les parents à la vie.