J'ai eu la chance de pouvoir m'entretenir avec Élisabeth Martineau, coordinatrice de Une Fleur, Une Vie et auteur de "Surmonter la Mort de l'Enfant Attendu".
Le point, donc, sur la journée du 9 mai prochain, au cours de laquelle aura lieu la 3ème édition d'Une Fleur, une Vie.
L'occasion de comprendre le programme de la journée, les objectifs des associations l'organisant, le devenir des fonds récoltés...
Je remercie beaucoup Élisabeth pour sa disponibilité et sa belle énergie! Ce fut une grande émotion pour moi que de l'interviewer, ses ouvrages et son approche empathique, résolument tournée vers la vie, m'ayant beaucoup portée lorsque je fut moi même touchée par le deuil périnatal.
Une Fleur, une Vie, une journée d'envergure nationale pour mieux comprendre ce qu'est le deuil périnatal et porter la mémoire de tous les bébés morts trop tôt.
Vous avez créé cet événement en
2013. Qu’est ce qui vous a décidé ? Comment est née l’idée de cette formidable
aventure ?
Début octobre 2011, plusieurs
associations, psychologues et auteurs oeuvrant à la reconnaissance et
l’accompagnement du deuil périnatal se sont réunies pour partager sur leurs
pratiques, leurs difficultés, leurs expériences.
Au fil des débats, les personnes
présentes, bénévoles investies au quotidien dans la vie de ces associations et
l’aide aux parents endeuillés, ont fait remonter 3 problèmes principaux,
auxquels elles se heurtaient toutes.
la difficulté à se faire connaître auprès des parents endeuillés, et des lacunes de communication,
L’absence de reconnaissance et de visibilité du deuil périnatal dans la société,
Le manque de moyens financiers pour initier de nouveaux projets voire assumer le fonctionnement au quotidien des associations qui accompagnent des parents.
Inspirés par la journée nationale
de sensibilisation au deuil périnatal du 15 octobre au Québec, notre intention
première était de nous y associer et à la faire exister en France.
L'idée du bouquet est venue tout naturellement, mais ne se prêtait pas à la
période automnale.
Nous avons poursuivi l’idée de faire un événement sur Paris, et de proposer aux parents endeuillés de créer ensemble un gros bouquet printanier où chaque fleur symboliserait un bébé mort trop tôt.
Cela nous
semblait être un très beau geste, tendre et poétique, qui permettait en même
temps de mieux faire connaître le deuil périnatal et le travail des associations.
C’était aussi une manière de récolter des fonds pour que les associations puissent être plus actives, plus présentes auprès des personnels médicaux et des parents en deuil.
Grâce à cet
argent, elles peuvent former davantage de bénévoles écoutants, pour un
accompagnement de qualité et améliorer leurs outils de communication.
Au départ, nous voulions faire un
bouquet sous la Tour Eiffel, mais les contraintes sécuritaires et
réglementaires étaient très fortes, et il était difficile d’accueillir les
parents sans locaux. Les Mairies du 14ème en 2013, et ensuite du 15ème
nous ont accueillis et nous ont permis de donner à cette journée la qualité que
nous espérions.
Nous nous sommes lancés dans l’aventure avec au cœur l’envie de créer un beau moment pour tous ces parents confrontés au vide immense ressenti après la perte d’un bébé.
Nous étions
certains que ces parents y trouveraient du sens. Le fait de poser une fleur
dans un bouquet est plein de symbolique - on en prend soin, on la place avec
délicatesse et elle n’est pas seule. D’autres fleurs, comme d’autres parents,
sont là, présents dans un silence époustouflant. On offre sa fleur pour créer
quelque chose de beau ensemble. Cette fleur ne nous appartient pas, ou plus. Je
pense que cela aide les parents, et même les frères et sœurs, les
grands-parents et même les amis, à faire un pas en avant dans ce deuil
particulier.
Notre démarche était assez
spontanée et simple, soutenue par la Fondation Services funéraires de Paris qui
avait à ce moment-là, lancé un appel aux projets en Ile-de-France pour
sensibiliser le public au deuil périnatal.
Mais nous ne nous attendions pas à
ce que 1000 roses soient réservées dès la première année. Cela faisait un très
beau bouquet en l’honneur de ces tout-petits. L’émotion était grande ce jour-là
tout comme l’année dernière, lorsqu’une fois de nouveau, le bouquet contenait
1000 fleurs.
Une Fleur, une Vie n’est pas une association, mais un «collectif d’associations ». Comment cela marche-t-il, concrètement ?
« Une fleur, une Vie »
est un évènement organisé par un collectif d’associations oeuvrant dans
l’accompagnement du deuil périnatal.
Il existe 4 associations membres
fondateurs qui sont :
ADEP56, association d’accompagnement aux parents traversant un deuil périnatal,
AGAPA, association de soutien aux parents n’ayant pu mener une grossesse à terme, quelle qu’en soit la cause,
L’Enfant sans Nom – Parentsendeuillés, association d’accompagnement aux parents frappés par un deuil périnatal,
Naître et Vivre, association entourant les parents dont l’enfant est décédé suite à une mort subite du nourrisson. Cette association propose également un accompagnement et le soutien des parents endeuillés quelque soit la cause du décès, que ce soit au cours de la grossesse au moment de l'accouchement ou dans les 3 premières années de vie de l'enfant. Elle est mobilisée pour la prévention de la mort inattendue du nourrisson en diffusant des outils de prévention et en assurant la formation des professionnels et enfin Naître et Vivre contribue à la recherche médicale.
Cette année, l’association SPAMA s’est jointe à nous. Elle accompagne les parents confrontés à un accompagnement de fin de vie pour leur bébé, né ou à naître.
Toutes ces associations signent une charte qui engage leur responsabilité et affirme les valeurs qu’ Une fleur, une Vie veut promouvoir et notamment l’importance justement de fonctionner en association, de proposer un accompagnement aux parents endeuillés qui prend en compte leur état de grande fragilité.
Cela demande un grand respect du cheminement de
chacun, et de la distance avec son histoire personnelle. Les personnes qui
assurent les accompagnements doivent être formées à l’écoute en situations de
deuil périnatal, et celles-ci doivent être supervisées régulièrement par des
professionnels.
Une fleur, une Vie n’a aucune
visée commerciale.
Puisque « Une fleur, une Vie » n’a pas de statut juridique, il faut une association qui assure la gestion financière.
C’est l’association AGAPA qui s’occupe cette année des
comptes, des commandes de fleurs, de l’envoi des reçus fiscaux... mais ça peut
changer selon la disponibilité de chaque association.
L’Enfant sans Nom, Parents
Endeuillés avait d’ailleurs assuré la gestion de la première année.
Chaque personne qui participe à
l’organisation de la journée pour son association prend en charge une
responsabilité : communications, Facebook, relations avec les
associations, hébergement, structure « fleurs », ateliers, buvette...
Pour ma part, je suis là pour
coordonner.
A qui s’adresse « Une Fleur, Une Vie » ?
Une Fleur, une Vie s’adresse à toute personne voulant honorer un tout petit, quels que soient ses liens, familiaux, amicaux ou autres avec le petit décédé.
Peu importe le terme, les causes
du décès. Ce peut-être après la naissance, ou avant. Ce peut-être une mort
fœtale in-utero, une IMG, une fausse-couche, une IVG, une réduction
embryonnaire…
Il suffit que cet enfant soit dans le cœur de son père, de sa mère, d’un adulte, qui ait envie de poser ce symbole.
On a vu des jeunes femmes poser une rose en souvenir du bébé de leur grand-mère
ou d’une amie. Chaque fleur représente une personne et une histoire singulière.
En quoi une Fleur, une Vie peut-il aider un parcours de deuil à avancer?
Participer à la création du bouquet peut être l’occasion, pour certains parents qui n’ont pas pu le faire avant, de créer du rituel pour leur bébé.
En effet, suivant le terme, les
circonstances du décès, l’état psychologique du parent à ce moment-là, les
rituels habituels d’au revoir (enterrement, cérémonie du souvenir, crémation…)
n’ont pas toujours pu avoir lieu.
Pouvoir le faire, même a posteriori,
est un pas important vers l’apaisement.
Cela aide les parents à affirmer l’existence de leur enfant et à comprendre, aussi, qu’ils ne sont pas seuls.
Cela aide les parents à affirmer l’existence de leur enfant et à comprendre, aussi, qu’ils ne sont pas seuls.
En participant à la création du bouquet, s’ils peuvent venir, les parents vont rencontrer d’autres parents endeuillés.
Les mots qui vont s’échanger, les regards, les larmes, peuvent être
très apaisants à ce moment-là. C’est une parole libre, sans gêne, qui va
circuler. Elle sera précieuse, à ce titre là, car au quotidien, les parents ont
des difficultés à parler de ce qu’ils vivent et, surtout, à être entendus.
C’est d’ailleurs le thème que nous
avons choisi pour notre édition de cette année : « Mettre des
Mots ».
A ce sujet-là, quelles sont les animations que vous proposez cette année ?
Il y aura tout d’abord un film, d’environ 30 minutes, sur le deuil périnatal.
Professionnels et parents y parlent
de leur quotidien, de leur vécu, mais aussi de ce qui, face à ce drame,
continue à être porteur d’espoir. L’importance de nommer le bébé, par exemple,
transparaît bien dans ce film.
Nous avons la chance que la réalisatrice puisse être là pendant la journée, ce sera très riche et émouvant de pouvoir partager avec elle.
Nous avons la chance que la réalisatrice puisse être là pendant la journée, ce sera très riche et émouvant de pouvoir partager avec elle.
Nous proposerons également des groupes de parole, afin de permettre aux parents le souhaitant de s’exprimer en petit comité.
L’un de nos objectifs, à une Fleur,
une Vie, est en effet de mettre en valeur le travail réalisé par les
associations, d’expliquer aux parents l’aide que cela peut leur apporter.
Il nous semblait donc important
que la journée donnent aux parents l’opportunité de mieux comprendre et vivre
le type d’accompagnement proposé par les associations.
2 groupes seront ainsi proposés,
l’un avec une thématique et l’autre plus « libre ». Ils seront tous
deux animés par des bénévoles formés à l’écoute et à l’animation de groupe.
Ce
type d’encadrement permet aux échanges une grande richesse, mais également un
profond respect de la sensibilité de chacun. Il est en effet primordial que le
chemin de deuil des parents soit respecté dans ses particularités, que sa
singularité soit préservée. Chaque histoire est unique.
Des activités artistiques, enfin, permettront aux parents de s’exprimer autrement que par la parole.
Certaines
personnes n’éprouvent pas le besoin de verbaliser, et préféreront mettre en
couleur ou en symboles, en images, ce qu’elles ressentent. Il sera ainsi
possible de participer à des ateliers de scrap-booking.
Les enfants pourront
créer une fresque guidée par un art-thérapeute. L’art comme la parole
permettent de toucher à son élan vital, de se sentir vibrer à l’intérieur. Un
chagrin partagé est souvent source d’apaisement.
Au final, notre souhait est
tout simplement de permettre que les parents qui viendront le 9 mai partent
apaisés et qu’ils sachent qu’il existe des lieux où ils peuvent déposer leur
fardeau et peut-être avancer dans leur deuil.
Toutes ces propositions sont très intéressantes, faut-il s’inscrire avant de venir ?
Non, les activités seront proposées
aux parents lorsqu’ils arriveront sur place.
Le film, lui, sera diffusé à
plusieurs reprises dans la journée. Nous avons la chance de bénéficier d’une
grande salle, nous permettant d’accueillir une centaine de personnes. Nous
espérons de nombreux spectateurs, car il s’agit d’un très beau documentaire,
portant une parole rarement entendue.
En ce qui concerne les ateliers et
les groupes de parole, nous demanderons à celles et ceux souhaitant y
participer de s’inscrire lors de leur arrivée, pour des raisons d’organisation.
Il est important pour nous que les
groupes de parole puissent avoir lieu dans un climat de
confiance et de bienveillance.
C’est pourquoi nous limitons la taille des ces groupes à un maximum de 12 personnes.
C’est pourquoi nous limitons la taille des ces groupes à un maximum de 12 personnes.
Est-on obligé de se déplacer pour participer ?
Non, les parents peuvent réserver
une rose pour leur bébé même s’ils habitent trop loin ou travaillent ce
jour-là.
Chaque rose réservée sera ajoutée
au bouquet tandis que le prénom du bébé, lui, sera inscrit sur le panneau prévu
à cet effet. Je vous ai expliqué combien ces gestes, ces rituels, qui
permettent de faire vivre la mémoire du bébé, sont importants. Savoir que, ce
jour-là, à Paris, son bébé est nommé, qu’une fleur le représente, est très
apaisant pour les parents. Ils sont là, eux aussi, par la pensée, même s’ils
n’ont pas pu, pour une raison ou une autre, se déplacer.
D’ailleurs, cette année, la première inscription venait de Nouvelle Calédonie ! C’est très émouvant pour nous d’accueillir ainsi ces pensées pour un bébé d’un pays si lointain.
D’ailleurs, cette année, la première inscription venait de Nouvelle Calédonie ! C’est très émouvant pour nous d’accueillir ainsi ces pensées pour un bébé d’un pays si lointain.
Vous avez mentionné que le bouquet de la première édition rassemblait plus de mille roses, c’est un nombre très impressionnant. Pouvez-vous me dire combien de personnes étaient présentes physiquement l’année dernière ?
Ce sont plus de 200 personnes qui
ont pu se déplacer le jour J, chacune portant la fleur de son bébé et, parfois,
de celui d’un ou plusieurs amis n’ayant pas pu venir.
L’événement se passe sur Paris. Envisagez-vous, un jour, de l’organiser ailleurs en France ?
Oui, pourquoi pas !
Nous sommes à Paris parce que la
Fondation services funéraires de la Ville de Paris soutient des projets
réalisés en Ile-de-France. De plus, la capitale est très accessible,
occupe une position centrale. Côté médias aussi, nous souhaitons une couverture
nationale.
Néanmoins, s’étendre à d’autres
villes serait formidable, mais cela dépendra des personnes qui se porteront
volontaires à l’avenir. Organiser « Une fleur, une vie » n’est pas
très compliqué. Il faut juste beaucoup de volonté et de forces vives.
Vous avez une longue expérience, personnelle, associative et professionnelle, dans ce domaine. Notez-vous une évolution sur la manière dont la société perçoit le deuil périnatal ? Sur la manière dont les parents le vivent ?
Les progrès accomplis en 10 ou 15 ans sont indéniables.
On peut maintenant inscrire son enfant à l’état
civil dès 15 semaines d’aménorrhée, l’habiller dignement, célébrer des obsèques. Le personnel
hospitalier et les parents prennent des photos, les empreintes des mains ou des
pieds... Il y a moyen de garder des souvenirs concrets de son bébé.
Néanmoins, je ne sais pas si l’on peut dire que la société est plus à l’aise aujourd’hui avec la mort en général et avec le deuil périnatal en particulier.
Il est difficile aussi d’affirmer si
les parents sont mieux accompagnés. La qualité de l’accompagnement varie d’un
établissement à un autre. Mais quand même, on parle davantage du deuil
périnatal, grâce notamment au mouvement démarré au Québec et qui se répand en
France.
Je pense que l’entourage se sent
encore désarmé, maladroit, ou ne conçoit tout simplement pas le séisme vécu par
les parents. Le changement se fait, petit à petit, mais il implique une remise
en cause de le manière dont beaucoup appréhendent la vie ou réagissent à la
douleur. C’est une évolution en profondeur de la société, qui ne peut se faire
que lentement, en sensibilisant, en expliquant ce que c’est de perdre un enfant
attendu. Si je n’avais pas vécu ce séisme-là, j’aurais été moi-même maladroite
face à un couple endeuillé. Je pense qu’il faut de l’empathie dans les deux
sens.
Les besoins en formation et en information, entre autre des personnels soignants, restent importants.
On se
heurte aussi souvent au manque de disponibilité de services de maternité
souvent surchargés de travail, malgré leur bonne volonté.
C’est pour cela qu’il faut parler ensemble, ouvrir le dialogue, expliquer.
Ces échanges, d’une grande
richesse, me semblent primordiaux. Il le sont pour les parents confrontés à un
deuil périnatal, mais aussi pour toute la société, car, bien souvent, vie et mort
se rejoignent.
Prendre soin de ces enfants morts
trop tôt, leur donner leur dignité d’êtres humains, accompagner leurs parents
dans cette épreuve, cela conduit aussi à mieux respecter les naissances
heureuses, à mieux accueillir chaque enfant qui vient au monde, chaque femme
qui accouche. C’est toujours un beau projet que celui de remettre l’humain au
cœur de l’hôpital, des relations et des échanges, de respecter chaque être car
il est infiniment précieux. Je lis d’ailleurs en ce moment beaucoup sur l’« d’écologie
de la naissance », et il me semble que mieux accompagner la naissance des
bébés mort-nés rejoint la même préoccupation.
Vous êtes canadienne, cela vous a-t-il permis d’apporter d’autres idées, une autre approche en France ?
Je vis en France depuis très
longtemps, je ne suis pas sûre de pouvoir apporter une réponse très tranchée…
Il reste que j’ai une mentalité
très entreprenante qui me vient peut-être, qui sait, de ce peuple de pionniers
qui est le mien, mais aussi de ma culture familiale. Mes parents et mes
grands-parents ont été déportés depuis la Pologne pendant la guerre. Ils ont du
accepter de perdre leur terres et de tout recommencer dans un nouveau monde.
Cela a imprégné la manière dont j’ai grandi et appréhendé la vie, sûrement.
J’ai d’ailleurs en permanence de
multiples projets à lancer ! Travailler en équipe, mettre en commun mes
compétences avec celle des autres, est quelque chose qui me motive
profondément.
Quel bon article. Surmonter la mort d'un enfant attendu peut sembler presque impossible. J'adore cette idée, de faire un événement où des parents endeuillés peuvent créer ensemble un gros bouquet printanier où chaque fleur symboliserait un bébé mort trop tôt. Je trouve cela vraiment émouvant. En fait, la planification des funérailles m'a beaucoup aidé à surmonter la mort de mon bébé. C'était triste, bien sur, mais j'ai trouvé que c'était une bonne façon de me souvenir de mon petit bébé. Super article. Merci de ce partage.
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