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mardi 10 mars 2015

Journal d'une Interruption Sélective de Grossesse - Critique


L'Interruption Sélective de Grossesse racontée de l'intérieur...

Ce livre aborde avec sensibilité et précision le vécu d'une grossesse gémellaire avec Interruption Sélective de Grossesse.




L'auteure, Soizic Beauchard, a vécu il y a quelques années ce drame et nous ouvre son journal intime, de l'annonce de la grossesse à l'apaisement, 4 ans après la naissance de ses jumeaux.
Avec franchise et amour, dans un langage factuel et doux, elle raconte ce long parcours, nous fait partager son expérience, son évolution, les enseignements qu'elle en a tiré.
Le livre se termine par un témoignage, ô combien précieux, de son compagnon.






Bien sûr, il s'agit avant tout d'un récit personnel, et il est à ce titre unique.

Malgré tout, il y a dans la narration de ce drame, de cette reconstruction aussi, quelque chose d'universel dans lequel les parents confrontés à pareil déchirement trouveront un certain réconfort.

Le livre commence par une préface de Stéphane Staraci, psychologue.

En des termes clairs, il apporte un éclairage théorique précieux, complet et clair pour comprendre à quel point le deuil d’un jumeau est particulier et complexe, à accompagner avec considération et empathie.
Il permet également de comprendre ce qu'est exactement une Interruption Sélective de Grossesse, ainsi que ses conséquences sur les parents, l'enfant vivant et la place de l'enfant mort.

Soizic livre ensuite son témoignage.


Récit d'une ISGIl commence, comme bien souvent les grossesses, par un désir d'enfant, puis l'attente et, un jour, l'annonce bouleversante d'une vie qui se dessine dans le secret du ventre maternel.
On suit avec elle sa joie, celle de son compagnon, d'autant plus que ce n'est pas un mais deux bébés qu'ils attendent!

Elle même jumelle, Soizic vit cette grossesse gémellaire avec joie et sérénité...

Petit à petit, néanmoins, le ciel s'obscurcit et, pris dans un tourbillon d'examens médicaux toujours plus stressants et impersonnels, les jeunes parents se voient bientôt proposer cette fameuse Interruption Sélective de Grossesse.

Il s'agit d'arrêter la vie de l'enfant trop malade pour vivre afin de préserver celle de l'autre enfant, qui est lui en pleine santé.


L'auteure décrit sa sidération lorsqu'elle se rend compte qu'elle devra vivre, une fois l'intervention réalisée, avec le corps de son bébé mort, jusqu'à la naissance du petit garçon qui va bien.

Les émotions liées à ce choix, la culpabilité qu'il fait porter aux parents, l'hébétude qui s'ensuit sont décrites avec précision, de même que la grossesse, le "geste" qui arrêtera la vie du petit Gabriel, l'accouchement quelques mois plus tard. Par ses mots simples, son style dénué de fioritures, Soizic donne à son témoignage une grande force, la légitimité du vécu.

L'importance de l'entourage au fil du deuil épuisant est également bien abordée, qu'il soit médical ou personnel. 


Chaque fois, c'est l'écoute, l'empathie, le dialogue, les gestes qui reconnaissent le drame vécu qui sauvent et apaisent. 

Et c'est la froideur, le déni, la volonté de minimiser qui maintiennent dans la peine et la douleur. C'est important à dire, car tant de gens pensent encore consoler par un "vous êtes jeunes" ou autre "il vous en reste un" quand ils ne font que crucifier encore davantage les parents, en niant la réalité de ce qu'ils vivent.

De la même manière, au sein du couple, c'est le respect de ce que vit l'autre qui permet d'accepter les différences, pourtant très grandes, entre le vécu de Soizic et de son compagnon... 

C'est une des grandes forces du livre que de montrer combien la peine et la colère qui peuvent résulter de ces différences peuvent être dépassées. Ça m'a semblé être un petit miracle de l'amour, l'un reconnaissant la douleur de l'autre, l'autre acceptant que son compagnon aille bien et voyant avant tout l'amour et l'empathie déployés par ce dernier à son égard. 

Les parents vivants un deuil périnatal pourront tous se reconnaître dans ce parcours, bien sûr, mais la spécificité de ce livre est de raconter l'ambivalence d'une grossesse avec Interruption Sélective de Grossesse. 


Où mort et vie, donc, cohabitent ...

Soizic raconte à quel point vivre une telle expérience, c'est avoir le cœur partagé en deux, déchiré entre la joie et la douleur, la peine pour l'enfant mort et l'inquiétude pour celui qui vit...
Combien, même après la naissance, alors que l'entourage se focalise sur ce beau bébé vivant qui est dans ses bras, elle continue son cheminement, son deuil...

La solitude qui l'entoure dans les années qui suivent la naissance de ses bébés engendre rancœur et tristesse et montre à quel point il est important que chacun, dans l'histoire familiale, soit reconnu à sa juste place.

Pour cela, l'attitude des proches, leur amour, leur capacité à entendre ce que leur dit la mère endeuillée est primordial.
Ce sont aussi les traces, les moments passés avec l'enfant mort qui pourront apaiser la jeune mère.
Dans le cas d'une Interruption Sélective de Grossesse, où il n'est souvent pas possible pour les parents de voir le corps du jumeau décédé, Soizic dit bien combien cela rend le deuil difficile. L'existence de l'enfant mort, sa réalité, disparaissent presque. A-t-il existé, vraiment? Cette absence hante, culpabilise la mère qui craint d'oublier et finit par dresser un mur entre elle et son enfant vivant, par peur de s'attacher et de souffrir à nouveau.

Il faudra, pour dépasser cela, toute la pugnacité de Soizic, qui refuse le non dit, se force à transmettre son histoire à son petit Lucas, à poser des actes comme la visite au carré des anges où repose son bébé.

Petit à petit, un pas après l'autre, toujours dans l'amour, elle avance... 

Et son petit Lucas, qui grandit, pose des questions, a ses réponses et intègre avec naturel l'histoire qui est la sienne, n'est pas pour rien dans l'apaisement qui s'installe...

Ce qui est intéressant, enfin, c'est que l'auteure, avec une grande sincérité, revient sur ses émotions d'alors. 

Elle ne cherche pas à les analyser, à les justifier, elle les raconte, tout simplement, telles qu'elles étaient, pendant la grossesse, après la naissance, dans les années qui suivent.
Elle raconte ses réactions, la manière dont elle s'est protégée, dont elle a avancé, dont elle est tombée et s'est relevé.

Ce récit factuel convoie un message simple, qui me parle et me touche au plus profond tant il rejoint ce que j'ai vécu, ce en quoi je crois : rien ne sert de se protéger, de nier ou minimiser. 

Ce qui doit être vécu le sera, un jour ou l'autre, et tout l'enjeu est d'accepter, de se laisser traverser par la douleur,de la reconnaître pour mieux, plus tard, être en paix avec sa vie, son histoire.
L’auteur mettra 4 ans pour faire ce chemin. 4 ans entre le masque posé sur son visage, au départ, avant tout pour se protéger et l'apaisement, l'acceptation et l'équilibre finalement retrouvés...

Le témoignage qu'elle nous livre, loin de ressasser la mort, est un message de vie, un hommage à chacun de ses fils, à la richesse qu'ils ont, l'un comme l'autre, donné à sa vie...

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